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SOUVENIRS.

que de sa passion pour l’indépendance et d’une fierté mal entendue.

Mme de Vaudémont est une créature toute négative ; elle n’a jamais été bossue, mais on n’a jamais pu dire qu’elle fût bien faite. Elle n’aura jamais d’esprit, et l’on est obligé de convenir qu’elle n’en manque pas. Elle n’est point méchante et n’est pas bonne, elle n’est ni supérieure ni commune, ni grossière ni délicate, ni sage ni folle, ni grande ni petite, ni belle ni laide ; et je défierais qu’on pût lui dire avec la moindre apparence de justice et de raison : Vous êtes quoi que ce soit, si ce n’est inconséquente à l’excès ; et encore ne l’est-elle pas toujours également.

Je me souviens qu’en la voyant faire (avec son air sévère et préoccupé) une foule de choses les plus baroques et les plus ridicules, je lui disais souvent dans sa jeunesse : — Est-elle étrange et bizarre ! est-elle Flamande ! — Il ferait beau voir que je ne fusse pas Flamande ! répondait-elle en me regardant fixement avec ses deux gros yeux cataleptiques : le plus beau de mon visage en est fait, de mes grands-pères de Flandre, et je m’embarrasse pas mal de vos coutumes et vos manières de Paris, moi !

Elle a toujours la prétention d’être le chef de la maison de Montmorency, ce qui n’est pas sans raison, puisqu’elle est issue de ce fameux Jean de Nivelle que le Seigneur de Montmorency, son père, avait déshérité et traité de chien, pour avoir suivi le parti du Duc de Bourgogne, et pour s’être enfui quand on l’appelait pour le service du Roi ; aussi le Chevalier de Boufflers expliquait-il la passion de