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SOUVENIRS

d’arriver ensemble à Versailles pour l’heure de la messe.

Je n’ai jamais vu Mme d’Egmont plus brillante et plus parée ! Elle avait un grand habit noir, en dauphine lampassée, lequel était garni sobrement et suffisamment par une élégante et riche broderie de fleurs de capucines, en couleur et de grandeur naturelles, avec leur feuillage en or. Elle avait mis toutes les perles héréditaires de la maison d’Egmont qui valaient au moins quatre cent mille écus, et qui étaient substituées à perpétuité, ni plus ni moins qu’un majorât de Castille ou qu’une principauté de l’Empire. C’étaient ces mêmes perles sur lesquelles la République de Venise avait prêté tant d’argent au Comte Lamoral d’Egmont, pour soutenir la guerre des Pays-Bas contre le Roi Philippe et son Duc d’Albe. Il est à remarquer que, sur toutes ces perles, il n’y en avait que deux ou trois qui se fussent éteintes depuis le seizième siècle. M. d’Egmont disait pertinemment que pour empêcher les perles de s’éteindre et même de se ternir, sans mourir et se pulvériser, il était suffisant de les enfermer avec un morceau de racine de frêne. M. de Buffon n’y voulait pas croire, mais une expérience qui s’est transmise de générations en générations dans une famille ancienne est tout autre chose, à mon avis, qu’une argumentation d’académicien. Souvenez-vous de la recette de Messieurs d’Egmont quand vous hériterez de mon beau fil de perles, qui provient de la famille Gradenigo de Venise, et que mon père y avait payé quinze mille écus.