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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

de jugement[1]. Il ne manqua pas de justifier la mauvaise opinion qu’on avait de son caractère et de son intelligence. À couvert de son franc droit, il avait fait débarquer à Douvres pour soixante mille francs de gros vins rouges et pour environ dix mille écus d’eau-de-vie. On prétendit que les pressoirs et les chaudières de Chanteloup n’avaient pas manqué de fournir matière à cette expédition mercantile ; mais j’ai toujours pensé que M. de Choiseul n’aurait pas voulu descendre aussi bas ni patauger dans un bourbier si fangeux. Parmi tout ce qu’on est en droit de reprocher à sa mémoire, je ne comprendrai jamais la misérable vénalité d’un pareil trafic.

En prenant possession de l’hôtel de notre ambassade à Londres, M. de Guerchy avait commencé par retrancher au Chevalier d’Eon la nourriture, le combustible et l’éclairage, et comme celui-ci n’était pas autrement endurant, il en fit des moqueries qui déplurent beaucoup à M. l’Ambassadeur. L’explication qui s’ensuivit entre eux deux se termina par une paire de soufflets, et par une lettre du Chevalier au Duc de Choiseul, pour le prier de vouloir bien accepter sa démission, attendu qu’il avait eu le malheur de manquer de patience et de respect à l’égard de M. le Comte de Guerchy, et qu’il allait se tenir en dehors des affaires de l’Am-

  1. Claude Reignier de Guerchy, Comte de Nangis, lieutenant-général et gouverneur de Huningue. Il avait eu l’honneur d’épouser une demoiselle d’Harcourt, et je crois qu’il est mort en 1779.
    (Note de l’Auteur.).