Page:Créquy - Souvenirs, tome 3.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

de la soupe, et quant à boire un verre d’eau rougie, voilà ce qu’elle n’aurait certainement pas fait (en compagnie, bien entendu). — Boire du vin comme une créature vulgaire ! et du vin rouge encore !… Ah ! Dieu d’amour, quelle humiliation ! — Une femme qui mange de la poularde ou des œufs frais !… — Allons donc, ma chère ! on mange un quartier d’orange, une dariole, une demi-douzaine de fraises ; ensuite on boit un peu de lait, c’est-à-dire du lait qu’on a fait couper avec de l’eau de cette jolie fontaine de Ville-d’Avray, et du lait de brebis, s’entend. Toujours du lait de brebis, de ce même lait qui sert pour alimenter les agneaux, ces charmans agneaux ! — Comment peut-on se résoudre à boire du lait de vache ? du lait, figurez-vous donc !… du lait avec lequel on nourrit les veaux, des êtres sans grâce et sans esprit !… Et puis, le moyen de composer avec cet horrible nom de vache !… — Vache !… — Allez donc vous établir dans une espèce de relation volontaire, une sorte d’intimité nutritive avec une vache, une lourde bête à cornes !… Tandis que vous devriez vous alimenter comme les nymphes de la fable qui marchaient sur les épis sans les courber !… — Ah ! chère amie, je ne saurais entendre parler de ces affreux animaux qui ruminent et qui beuglent !… car je suis sûre qu’elles beuglent, les vaches ; et ce sont, à mes yeux, les plus abjectes et les plus odieuses créatures de l’univers ! — Je disais l’autre jour à M. de Buffon : « Puisqu’il faut du lait dans la nature, pourquoi les colombes ne nous en fournissent-elles pas ? »

— C’était parler comme un ange ! lui dit la