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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

Il arriva la plus singulière chose du monde à ses funérailles, où tout le monde affirmait qu’elle avait remué les bras et levé les mains pour se moucher pendant tout le temps qu’elle fut exposée sur son lit de parade. Il se trouva que c’était une manœuvre de femmes de chambre, afin de ne pas laisser gâter les beaux habits dont on avait revêtu son cadavre, et parce qu’elle était morte d’un abcès au cerveau qui lui coulait par le nez. Une de ses filles de garde-robe était cachée derrière le catafalque, et passait de temps en temps, sous le beau peignoir de dentelle de sa maîtresse, une main gantée qui tenait un mouchoir ; et puis elle essuyait le visage de la défunte, afin de remédier autant que possible à cet inconvénient qui mettait les héritières de sa garde-robe au désespoir. On disait que rien n’avait été d’un plus étrange effet que cette vision, dont le peuple de notre quartier n’a jamais voulu recevoir, accueillir, ni même écouter aucune explication raisonnable. Mlle Dupont vous dira quand vous voudrez que la vieille Princesse de Sens avait beau faire signe que son mal était dans sa tête, qu’on n’a pas eu l’air d’y prendre garde et que le Docteur Bouvard l’a fait enterrer vivante. Était-ce opiniâtreté pure et simple ? était-ce excès de méchanceté ? Voilà tout ce qui reste en discussion. Mlle Dupont ne doute pas que ce ne fût par malice[1].

  1. Le nom de Mlle Dupont reviendra souvent dans la partie de ces Mémoires qui se rapporte à la révolution française et à l’époque de la terreur. On verra qu’elle était la femme d’un