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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

en aucune façon de la première visite que Mme d’Egmont avait pris la peine de lui faire pendant qu’il dormait et sans l’avoir fait réveiller, il se fit apporter une cassette dont il tira des papiers en la suppliant d’en prendre lecture. C’étaient des lettres du feu Comte de Gisors, adressées au Vidame, et qui témoignaient assez de leur amitié réciproque, ainsi que de la pleine confiance et de l’estime que cet honorable jeune homme accordait audit M. de Poitiers. Il était continuellement question de Mme d’Egmont dans toutes ses lettres, et c’était si tendrement qu’il en parlait, que la pauvre jeune femme en avait le cœur serré comme à l’écrou. Il s’y plaignait de l’inhumanité de son père, le Maréchal de Bellisle, à l’égard d’un pauvre enfant qu’il abandonnait à son malheureux sort, et que son fils recommandait au Vidame avec la plus tendre sollicitude. — Je ne reviendrai pas de cette campagne où je veux me faire tuer, disait-il dans sa dernière lettre, je n’en reviendrai pas, j’en ai la conviction mais je vous recommande Séverin et de ce côté-là, je vais mourir tranquille.

Lorsque la Comtesse eut bien lu toutes ces lettres et qu’elle en eut assez pleuré, ce qui dura près d’une heure, elle essuya ses yeux, et le vieux seigneur ouvrit les siens, qu’il avait tenus fermés pendant tout ce temps-là, sans proférer une seule parole. — Madame, lui dit-il alors, celui que nous regrettons et que vous pleurez n’avait point de secrets pour moi, et j’avais pour lui des entrailles de mère. Il nous a laissé un autre lui-même ; c’est un jeune