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DE LA MARQUISE DE CRÉQUY.

jours le Président de Kuillé et son frère, l’Évêque de Quimper, quand ils nous parlaient à Versailles de la Redoutable et Miséricordieuse Anne de Bretagne, leur Souveraine, qui, comme on sait, était morte en l’année 1514, ce qui vous prouvera que rien n’était plus mémoratif et plus curieusement suranné qu’un gentilhomme de Basse-Bretagne, il y a cinquante ans) ; je vous disais donc que si j’avais été l’héritière de Bourgogne et des dix-sept provinces appelées, je ne sais pourquoi, les Pays-Bas, le Comte d’Egmont n’aurait pu me recevoir en visite avec plus de cérémonies et des embarras plus obséquieux.

D’abord il ne voulut jamais souffrir que je restasse avec lui dans sa bibliothèque, attendu qu’il ne s’y trouvait que des chaises à dossier. Il sonna de toutes ses sonnettes pour faire ouvrir les deux battans de toutes ses portes ; il était malheureusement sans gants, le formaliste gentilhomme ! mais il eut soin de me présenter la main par-dessous la basque de son juste-au-corps, et nous traversâmes ainsi je ne sais combien de salles avant d’arriver jusqu’à celle de son dais, où je fus obligée, bon gré mal gré, de m’établir sur le fauteuil, tandis qu’il ne voulut jamais s’asseoir que sur un pliant, sur la seconde marche de l’estrade, à la place de son chancelier de Clèves ou de son majordome de Saragosse-la-Royale. Nous avions l’air de jouer à la Grande-d’Espagne, comme diraient des pensionnaires, et j’eus bien de la peine à garder mon sérieux pendant cette visite, où je me trouvais sous l’apparence d’une bourgeoise qu’on aurait fait trôner pour la divertir. Je