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SOUVENIRS

fourreau, et il se tint tranquille. Les deux patiens restèrent sept à huit minutes avant de pouvoir s’imaginer qu’ils fussent en liberté de relever la tête ; et pour lors un vieux magistrat se mit à leur lire des lettres de grâce, où l’Abbé Cochin entendit très distinctement qu’il était question du Prince, de Conti et du Vidame de Poitiers. L’Abbé Cochin s’esquiva comme il put de l’Hôtel-de-Ville ; il raconta l’aventure à ses jeunes confrères en Sorbonne, et c’est ainsi qu’elle se trouva répandue parmi ses contemporains. Ils disaient aussi que M. Cochin, le père, avait été mandé le lendemain matin par le Cardinal de Fleury, pour qu’il eût à commander à M. son fils de garder le silence, attendu que la correction dont il avait été témoin touchait à l’honneur de la maison royale, et qu’elle était par conséquent un secret de l’état. On connaît la sévérité du Cardinal et l’horreur de Louis XV à l’égard de certain vice. (Autre parenthèse entre parenthèses. Madame d’Egmont voudra bien attendre, et je ne vous tiens pas quitte de l’Abbé Cochin dont il me reste à vous conter un miracle).

In illo tempore, l’Abbé Cochin demeurait au séminaire de Saint-Sulpice, où ses parens lui donnaient tous les mois, pour ses menus plaisirs, un double-louis qu’il dépensait en aumônes. Au nombre de ses pensionnaires, il y avait une pauvre mère de famille que l’Abbé trouva un jour de congé devant la porte du séminaire, où elle attendait sa sortie pour se recommander à sa charité, à propos de je ne sais quel surcroît de misère et d’affliction. On était à la fin du mois, et l’Abbé Cochin lui