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SOUVENIRS

devinez qui ? Mme du Deffand, qui ne croyait à rien, et qui se fit ouvrir un passage par le Chevalier de Pont-de-Vesle, assisté de plusieurs laquais. Elle était déjà presque aveugle, et son cavalier n’y voyait guère mieux qu’elle ; ainsi, ce breuvage oculi-pharmaque, comme disait le vieux Sénac, n’était pas pour eux, comme il était pour nous, une simple médecine de précaution. Nous eûmes la satisfaction de les voir avaler exactement chacun un plein godet de cette eau bénite. Nous imaginâmes bien qu’ils n’iraient pas s’en vanter dans leur société philosophique, mais nous résolûmes de n’en rien dire non plus, afin de ne donner sujet a aucune plaisanterie sur une pratique de dévotion et surtout pour éviter, sur ces deux étranges pélerins, certaines réflexions dont la charité de la Comtesse de Marsan s’alarmait outre mesure.

J’avais beau lui dire que cette Marquise du Deffand n’avait pas grand’chose à perdre en fait d’estime publique et de considération personnelle, en ajoutant que l’intimité dans laquelle elle vivait avec M. de Pont-de-Vesle était depuis long-temps un sujet de propos scandaleux… — Ce serait capable de les empêcher de retourner en pèlerinage et de remettre jamais les pieds dans une église, me répondait-elle ; et toujours est-il que nous en gardâmes un secret absolu, si ce n’est pour M. le Duc de Penthièvre, à qui nous disions toujours toute chose, attendu qu’il était la sûreté même. Il se divertit beaucoup de ce pèlerinage entrepris par ces deux amans philosophes encyclopédistes afin d’obtenir la conservation des beaux yeux de Mme du