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POÉSIES DE LOUISE LABÉ.

Ô beaus yeus bruns, ô regars destournez,
Ô chaus soupirs, ô larmes espandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisans vainement retournez[1] !

Ô tristes pleins[2], ô désirs obstinez,
Ô temps perdu, ô peines despendues,
Ô mile morts en mile rets tendues,
Ô pires maus contre moi destinez,

Ô ris, ô front, cheveus, bras, mains et doits ;
Ô lut pleintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaus pour ardre une femmelle !

De toy me plein, que, tant de feus portant[3],
En tant d’endroits d’iceus[4] mon cœur tatant,
N’en est sur toy volé quelque estincelle.


Tout aussi tôt que je commence à prendre
Dens le mol lit le repos désiré,
Mon triste esprit hors de moy retiré,
S’en va vers toy incontinent se rendre.

Lors, m’est avis que, dedens mon sein tendre,
Je tiens le bien ou j’ay tant aspiré.
Et pour lequel j’ay si haut souspiré,
Que de sanglots ay souvent cuidé fendre[5].

Ô dous sommeil, ô nuit à moy heureuse !
Plaisant repos, plein de tranquilité.
Continuez toutes les nuits mon songe ;

Et si jamais ma povre ame amoureuse
Ne doit avoir de bien en vérité,
Faites au moins qu’elle en ait en mensonge !

  1. Revenus
  2. Plaintes
  3. C’est-à-dire : que puisque tu portes
  4. Avec eux
  5. Cru éclater.