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POÉSIES DE LOUISE LABÉ.

âgée de seize ans, assista sous le nom de capitaine Loys au siège de Perpignan, ainsi qu’elle le raconte elle-même, dans sa troisième élégie :

Qui m’eût vu lors, en armes, fière, aller,
Porter la lance, et bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux.
Pour Bradamante ou la haute Marphise,
Sœur de Roger, il m’eût, possible, prise.


Au retour de cette campagne, elle s’adonna tout entière à l’étude, elle devint une savante ! Ce terrible mot, remarquons-le tout de suite, n’avait pas encore la morose acception qu’il devait prendre plus tard. Qui disait savante ne disait pas pédante. Le savoir et la poésie venaient de la même source ; on allait les puiser dans la même coupe, grecque ou romaine, aux belles eaux courantes de l’antiquité. Louise Labé était savante à la façon de la sœur de François Ier, cette Marguerite des Marguerites, chez qui le savoir n’excluait ni le goût de la poésie, ni l’élégance des mœurs, ni la gentillesse du propos. Très-versée dans les langues anciennes, possédant à merveille la langue italienne, elle se montrait fière des connaissances qu’elle avait acquises, parce qu’elle en sentait noblement le prix, et c’était sa joie « de s’en parer plutôt que de chaînes, anneaux et somptueux habits. » Dans la préface de ses œuvres adressée à son amie Clémence de Bourges, la savante Lyonnaise « prie les vertueuses dames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et leurs fuseaux, » non pour dominer et commander, mais « pour être compagnes aux affaires domestiques et publiques de ceux qui gouvernent et se font obéir. » Lettres et sciences, ajoute-t-elle, nous donneront gloire et honneur, et plus encore : un plaisir « qui est autre que les autres récréations, desquelles, quand on en a pris tant que l’on veut, on ne se peut vanter d’autre chose que d’avoir passé le temps, mais celle de l’étude laisse un contentement de soi, qui nous demeure plus longuement. »

Des sentiments aussi élevés suffiraient au besoin pour réfuter les calomnies des biographes. Ce n’est pas une courtisane qui peut goûter et expliquer, comme le fait Louise Labé, le charme particulier de l’étude. Il y a là une dignité d’esprit qui ne saurait se concilier avec de certains abaissements de la conscience. La fin de la préface atteste encore mieux que de la dignité : je veux dire qu’elle respire la vraie fierté, la vraie pudeur féminine. « Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers