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DU BARTAS


1544 — 1590



S’il fallait illustrer par des exemples cette flottante destinée des livres et des écrivains que Terentianus Maurus a notée dans un vers dont notre inconstance, heureuse de s’en prendre à la fatalité, s’est hâtée de faire un proverbe, je citerais tout d’abord l’étrange et vaste épopée, qui se nomme la Sepmaine ou la création du monde, et son auteur Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas. A l’heure où l’esprit et l’érudition ont révisé de concert le procès de la poésie méconnue du xvie siècle, tandis que le moins industrieux des ouvriers de la pléiade regagnait du terrain et rafraîchissait son laurier aux sources vives. Du Bartas, écarté des assises où la critique consacrait ces réhabilitations triomphantes, a eu peine à trouver en France même un avocat pour plaider les circonstances atténuantes. En Allemagne, il a été moins abandonné, et je veux, au début de cette étude, mettre en avant l’apologie ; l’accusation reviendra toujours assez vite.

« Les Français ont eu, au xvie siècle (c’est tout simplement Gœthe qui parle, un poëte nommé Du Bartas, qui fut alors l’objet de leur admiration. Sa gloire se répandit même en Europe, et on le traduisit en plusieurs langues. Il a composé beaucoup d’ouvrages en vers héroïques ; c’était un homme d’une naissance illustre, de bonne société, distingué par son courage, plus instruit qu’il n’appartenait alors à un guerrier. Toutes ces qualités n’ont pu le garantir de l’instabilité du goût et des outrages du temps. Il y a bien des années qu’on ne le lit plus en France, et si quelquefois on prononce encore son nom, ce n’est guère que pour s’en moquer. Eh bien ! ce même auteur, maintenant proscrit et dédaigné parmi les siens et tombé du mépris dans l’oubli, conserve en Allemagne son antique renommée,