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SEIZIÈME SIÈCLE.


Il ne vint pas au monde dans une contrée faite pour éveiller l’inspiration, ce brave Jean de La Taille, qui n’a que plus de mérite à l’avoir trouvée tout entière au fond de son âme. Les tourelles du petit château de Bondaroy, où il naquit, étaient tout uniment plantées au pays de Beauce, dans une de ces plaines qui n’ont d’autre caractère que leur monotone étendue. Mais les enfants du gentilhomme beauceron, qui ne voulait pas que ses fils eussent à rougir, comme lui^ de leur ignorance, grandissaient à une époque où le goût des lettres se répandait de plus en plus ; et ce qui devait surtout séduire l’honnête seigneur de Bondaroy, c’était la faveur dont cette culture d’esprit, depuis longtemps déjà, jouissait à la cour. Les deux frères furent donc envoyés à Paris pendant le règne de Henri II ; et, bien que sur ce fait l’indication des biographes demeure un peu vague, il est présumable qu’ils passèrent quelque temps au collège de Coqueret, devenu fameux alors par le talent littéraire des disciples qu’il avait formés. Les traces des illustres de la Pléiade y étaient encore toutes récentes. Le fécond enseignement de Jean Dorât continuait à répandre en ce docte asile « les fleurs et fruits de ces riches cornes d’abondance grecque et latine *. » Les leçons d’Antoine Muret eurent aussi leur influence sur ces deux jeunes esprits, avides de puisera toutes sources de savoir. L’étude de la jurisprudence les appela quelque temps à Orléans, où professait Anne Dubourg, le futur martyr du calvinisme. On est fondé à présumer que ces dernières leçons furent celles qui, sous tout rapport, laissèrent le moins de vestiges dans la pensée des deux chercheurs do rimes. Bientôt d’ailleurs, Jacques, le plus jeune, fut brusquement frappé dans une épidémie, laissant à son aîné le soin religieux do faire connaître au monde lettré les tentatives de tragédie « à la grecque » d’un poëte de vingt ans. L’honneur de la première audace dans ce nouvel art ne revient pas d’ailleurs à Jacques de La Taille : les tragédies d’Alexandre et de Daire n’étaient que le contre-coup des succès tout récens de quelques hardis devanciers.

Vers ce temps sans doute, Jean de La Taille ne fut-il pas un peu forcé, par l’honnête seigneur de Bondaroy, de se souvenir de son épée de gentilhomme, complaisamment oubliée dans ce premier enivrement d’étude et de poésie ? La guerre civile venait de s’allumer ; et l’on conçoit qu’il n’était guère loisible à un poëte à blason de rester sourd aux appels de « cette dame terrible, » ainsi qu’il la nomme, en la maudis-

1 Joachim Du Bellay, Illustration de la langue françoise.