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Pourquoi faut-il qu’il ait mis en latin ses plus gracieuses pensées et que la langue française ne puisse s’honorer des vers charmants qu’il envoyait au conseiller Gillot, son ami intime, son confident de cœur, son complice en satyre ? Mais on ne peut traduire ces familiarités, et il faut lire et savourer l’épître surtout qui accompagne un envoi de gibier et de volailles à l’ami Gillot. Rapin le prie de fournir le vin, il pré- sidera le banquet et on relira ses vers. Braves gens !

Il faut lire encore la pièce latine qu’il composa aux Grands Jours de Poitiers, pour célébrer la fameuse puce qu’Étienne Pasquier aperçut un jour sur le sein de mademoiselle Des Roches. On sait qu’il y eut à ce sujet un tournoi littéraire et que Rapin fut le vainqueur. Et pourtant le jeune Malherbe était là.

Savant comme les plus savants, Rapin s’essaya avec obstination à introduire dans notre langue les vers métriques. Comme Baïf, il n’y réussit guère. En somme, ses plus précieux titres de gloire, ce sont ses deux harangues et les épigrammes de la Satyre, quoique ses poésies latines aient plus de sel et un tour bien plus aisé que les françaises.

Un jour d’hiver, Rapin voulant revoir ses amis de Paris, quitta sa maison de Fontenay et se mit en route. Hélas ! il était vieux et le temps était rude. La maladie l’arrêta à Poitiers et il y mourut. Il n’avait que soixante ans. Il avait tant lutté durant ces soixante années, tant souffert et combattu pour le bien, que Dieu lui en devait au moins encore dix de repos ! Un jésuite , le Père Garasse, se vanta qu’il l’avait converti et forcé à reconnaître l’excellence d’une Compagnie qu’il avait persécutée toute sa vie sans la connaître. La scène me paraît peu vraisemblable. D’abord Rapin ne songeait guère aux Jésuites du temps de la Ménippée ; il songeait au bonheur futur de la France délivrée des Guises et surtout au triomphe du droit. J’aime mieux le tableau qui nous le représente mourant et dictant à son fils de magnifiques vers latins, dans lesquels il peint avec un sang-froid stoïque l’envahissement de la mort et la disparition lente de son intelligence. J’ai plus de confiance en ce récit de l’Estoile. Non, je ne puis croire à une palinodie chez Rapin. Toute sa vie prouve une grande âme, un cœur ferme et désintéressé, un esprit fier, une personnalité noble, et il nous est même impossible de voir une flatterie dans ce vers superbe qu’il adressait à Sully :

Tes pensers qui jamais n’inclinent au sommeil.

On y sent trop la sincérité d’une conviction inspirée.

Valéry Vernier.