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damner avec ses insistances et ses subtilités, car il avait la manie de se faire accompagner partout ; manie de poète et d’auteur dramatique, auquel il faut toujours un public. Je dus notamment une fois, sur sa prière, l’accompagner chez Templier, gendre d’Hachette, auquel il faisait une visite diplomatique pour l’engager à éditer Edgar Poe (c’était avant Michel Lévy). Il s’agissait de l’endoctriner, de le capter, de le séduire, de l’enlacer, d’être charmant enfin en même temps que persuasif. Il réussit à l’agacer de telle sorte, que peu s’en fallut que Templier ne nous mît l’un et l’autre à la porte. De même une autre fois chez un huissier qu’il se proposait d’attendrir, et qu’il attendrit si bien, qu’il fut près d’envoyer chercher la garde. De même encore avec Hetzel de qui il voulait obtenir par des flatteries adroites une modification à un traité et qu’il finit par offenser gravement, au point qu’ils en restèrent brouillés. Voir ce que j’ai déjà dit à propos de Maxime Du Camp. La faculté d’agacer les gens était chez lui un don d’autant plus singulier qu’il agissait surtout aux moments où il avait la prétention de charmer et de plaire. Il est vrai qu’il en tirait dans certains cas de grandes jouissances. C’est lui qui a dit un jour avec conviction : a Combien il est doux d’être haï des sots ! » Il faillit une fois faire évanouir de terreur ce bon Verteuil, secrétaire du Théâtre-Français, en lui décrivant minutieusement, lentement, avec la patience d’un tortionnaire, des images de supplices que je l’avais mené voir à la salle des Missions, rue du Bac. Le pauvre \ erteuil, nourri du sourire des comédiennes, s’agitait, haietant derrière son bureau. Mais le terrible Baudelaire ne