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encore tel qu’il m’apparut et que je le divulgue. Ouvert à ceux qu’il croyait bons et sensibles, mais farouche à ceux qu’il jugeait autrement, il évitait les gens frivoles et ne s’accointait jamais au premier venu. Si les familiarités indiscrètes ou déplacées des beaux esprits le navraient et lui suggéraient souvent un brusque parti, les tutoiements incongrus des fâcheux jadis coudoyés sur les bancs du collège et retrouvés par hasard en plein Paris, le jetaient en des transports de fureur.

Elégant, un peu maniéré, circonspect, timide et frondeur à l’unisson, il avait des amis, mais point de camarades, et les sots l’eussent fait fuir au bout du monde en l’entretenant à brûle-pourpoint de ses propres œuvres et de celles de ses contemporains. Son étonnante réserve, à cet égard, provenait du profond dédain qu’il nourrissait pour ces hâbleurs toujours prêts à trancher sur tout, avec lesquels il tenait, d’ailleurs, à n’avoir rien de commun. Evidemment, il devait paraître excentrique à ses pairs, je veux dire aux personnes de sa profession, car il avait au plus haut degré le respect de soi-même et partant le respect d’autrui. Beaucoup de lettrés d’alors et la plupart des folliculaires le haïssaient d’abord, à cause de cela ; puis, avouons-le, parce qu’il s’ingéniait à les « faire poser ». Enclin à je ne sais quel ordre de plaisanteries noires, il attendait d’être ému pour étaler une fausse impassibilité. J’en appelle à ses intimes ! Etait-il jamais plus lugubre que lorsqu’il voulait paraître jovial ? Il avait alors la parole troublante et sa vis comica vous donnait le frisson. Etait-il en verve ? Ah ! de deux