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que j’endure dans un pays où les arbres sont noirs et où les fleurs n’ont aucun parfum. Quant à la cuisine, vous verrez, je lui ai consacré quelques-unes des pages de mon petit livre… Quant à la conversation, ce grand, cet unique plaisir d’un être spirituel, vous pourriez parcourir la Belgique en tout sens, sans trouver une âme qui parle. Beaucoup de gens se sont pressés, avec une curiosité de badauds, autour de l’auteur des Fleurs du mal. L’auteur des fleurs en question ne pouvait être qu’un monstrueux excentrique. Toutes ces canailles-là m’ont pris pour un monstre, et quand ils ont vu que j’étais froid, modéré et poli, — et que j’avais horreur des libres-penseurs, du progrès et de toute la sottise moderne, — ils ont décrété (je le suppose) que je n’étais pas l’auteur de mon livre.

« Quelle confusion comique entre l’auteur et le sujet ! Ce maudit livre (dont je suis très fier) est donc bien obscur, bien inintelligible ! Je porterai longtemps la peine d’avoir osé peindre le mal avec quelque talent.

mis à la nature m’a toujours semblé avoir refait un pas vers la sauvagerie originelle ! »

On pourrait soupçonner Schaunard d’avoir « corsé », pour en aiguiser l’intérêt, les propos qu’il attribue à son ami, si Baudelaire lui-même, et à plusieurs reprises, n’avait renchéri sur eux dans sa correspondance comme dans son œuvre. Le Rêve Parisien offre cet exemple unique, je crois, dans la poésie, de réaliser un paysage dont le végétal est entièrement banni. Comparez encore la lettre à Desnoyers : « \ous me demandez des vers pour votre petit volume, des vers sur la Nature, n’est-ce pas ? sur les bois, les grands chênes, la verdure, les insectes, le soleil sans doute ? mais vous savez bien que je suis incapable de m’attendrir sur les végétaux, etc., etc. » Que conclure de tout ceci ? Peut-être, simplement, que Baudelaire était de la famille de ces infortunés qui ne désirent que ce qu’ils n’ont pas et n’aiment que le lieu où ils ne sont pas. Flaubert, un nerveux aussi, rêvait aux plaines de sa Normandie sur les ruines de Carthage.