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« Quand vous aurez trouvé un homme qui, libre à dix-sept ans, avec un goût excessif des plaisirs, toujours sans famille, entre dans la vie littéraire avec 3o.ooo francs de dettes, et, au bout de vingt ans, ne les a augmentées que de 10.000, et, de plus, est fort loin de se croire abruti, vous me le présenterez et je saluerai en lui mon égal. »

Mais quelle que fût sa fermeté, le poète ne cachait pas combien ces odieux tracas d’affaires gâtaient sa vie, entravaient son travail. « Aujourd’hui encore, écrit-il trois mois plus tard, journée terrible, passée dans les rues, billets protestés (i). »

Le nœud coulant, qui les étreignait tous deux, se resserrait de plus en plus. Un moment vint, où Baudelaire, resté à Paris pour veiller aux intérêts communs, pendant que son ami était retenu à Alençon par

courrez de vrais dangers. Je ne veux pas que vous perdiez la tète pour si peu, rappelez-vous que ce n’est pas seulement l’égoïsme qui parle, mais l’amitié » (avril i85o). Parfois Poulet-Malassis, aigri par la perspective d’un désastre imminent, se soulage par des récriminations injustes contre son compagnon d’infortune. Mais celui-ci ne se laisse jamais entraîner aux représailles. Tout au contraire il lui répond avec une douceur résignée et vraiment touchante chez un homme si prompt d’habitude à se révolter contre les offenses. « Vous essayez, dans votre lettre, de me faire sentir votre mauvaise humeur, fort légitime d’ailleurs. C’est inutile, je soutire suffisamment de tout ce qui est arrivé, et j’ai reçu trop de services de vous pour garder souvenir d’autre chose . » Mais il faut lire la longue suite des lettres à « Goco-Malperché » pour pouvoir admirer, comme elles le méritent, la constance d’âme et la générosité de cœur que Baudelaire montra dans ces circonstances difficiles. (i) 5 décembre 1860.