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Il a dû en coûter au poète d’écrire à une maîtresse delà veille cette lettre d’une si cruelle franchise, et qui devait frapper de mort toutes ses espérances de bon L’aventure dont ce dernier billet semble l’épilogue, — et sur laquelle il nous renseigne seul, — est fort banale : Baudelaire avait rencontré M" lc Marie X., un modèle, chez un artiste de ses amis. Un jour, il lui avoua qu’il l’aimait. Elle lui répondit que son cœur était pris et s’abstint de le revoir.

Mais en revanche la lettre, outre que la forme en est fort belle, nous fournit de précieuses indications sur les tendances spiritualistes et les illusions avides que Baudelaire apportait dans l’amour, et par là, elle corrobore le témoignage des billets à M me Sabatier. Ici et là, c’est d’ailleurs, non seulement les mêmes sentiments, mais aussi le même ton et par endroits même, les mêmes termes : « Pour vous, Marie, je serai fort et grand. Gomme Pétrarque j’immortaliserai ma Laure. Soyez mon ange gardien, ma Muse et ma Madone, et conduisez-moi dans la route du Beau. » Toutefois il faut signaler, dans la lettre à Marie X., un mot dont la brutalité traduit de façon particulièrement nette, et en dépit de la forme négative de la phrase, l’horreur dégoûtée que Baudelaire, hors auprès de sa Vénus noire, avait vouée aux choses de la chair : « Soyez tranquille, vous êtes pour moi un objet de culte, et il m’est impossible de vous souiller ; je vous verrai toujours aussi radieuse qu’avant. » Rarement aussi le mysticisme religieux que Baudelaire apporta dans l’amour, ne s’est aussi franchement accusé que dans cette déclaration : « Je vous aime, Marie, c’est indéniable ; mais l’amour que je ressens pour vous, c’est celui du chrétien pour son Dieu ; aussi, ne donnez jamais un nom terrestre, et si souvent honteux, à ce culte incorporel et mystérieux, à cette suave et ebaste attraction qui unit mon âme à la vôtre, en dépit de votre volonté. Ce serait un sacrilège… »