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dernières lettres.

arrêtés, n’ayant plus le respect ni de la famille ni de la femme, ayant abusé de toutes les jouissances matérielles pendant les vingt années de l’Empire, qui fut une époque de bien-être et de richesses inconnus jusque-là dans le pays, les Français ont perdu tout ce qui fait la force et l’honneur d’un peuple, tout, jusqu’à l’amour de la patrie.

Le mot d’un viveur de Paris est tout à fait caractéristique. On déplorait devant lui la perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. « Ah ! bah ! répondit-il, qu’est-ce que cela peut me faire ? Je ne vais jamais dans ces pays-là ! » En effet, est-ce que le démembrement de la France empêchera ce monsieur d’aller souper au Café Anglais avec les actrices en vogue ? Ne continuera-t-il pas à occuper une loge d’avant-scène, les soirs de première représentation ? Ne le verra-t-on pas, comme autrefois, passer aux courses de Longchamps et de Vincennes ?

Ce qui me fait croire que la France est perdue, c’est que la masse du peuple, ouvriers et paysans, est profondément corrompue et ne croit plus à rien. Avant 1789, la haute société seule était gangrenée, et encore n’y avait-il que cette portion de la noblesse faisant partie de la cour qui fût atteinte de la corruption. Aujourd’hui, la haute société est excellente, mais la petite bourgeoisie et la classe ouvrière ne valent rien. La première se vante d’être voltairienne, enterre ses enfants sans passer par l’église et se fait une gloire de ne pas croire en Dieu. Pour la classe ouvrière, elle