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dernières lettres.

criblées de balles. Le clocher de l’église, défoncé en deux endroits par les obus prussiens, menace ruine. C’est à l’extrémité de ce faubourg qu’a eu lieu l’un des plus brillants faits d’armes de l’armée de la Loire. Quatre mille hommes ont soutenu, pendant sept heures, le choc de l’armée allemande, forte de quarante mille hommes. Les Français ont perdu deux mille combattants, mais ce sacrifice héroïque a permis aux vingt-cinq mille soldats qui se trouvaient dans l’intérieur de la ville, de traverser la Loire et de se replier sur Blois, afin de protéger Tours, où se trouvait alors la délégation du gouvernement de la défense nationale.

Comme toutes les villes de province, Orléans semble bien déserte et bien silencieuse quand on sort de la fournaise parisienne. Cependant, je ne regrette nullement le brouhaha de la capitale. Au moins ici je dors bien. Depuis le 18 mars, on ne dormait pas quatre heures par nuit, dans la rue de l’Entrepôt. Le tambour et le clairon battant la générale nous horripilaient le tympan depuis le soir jusqu’au matin. Dans les dernières semaines de l’investissement, j’avais également perdu le sommeil. Les viandes mangeables coûtaient trop cher, le cheval et le chien me donnaient des nausées. Je vivais de riz et de café, dont je prenais douze à quinze tasses par jour pour me soutenir. Le système nerveux, ébranlé par ce régime, ne me laissait guère fermer l’œil. Arriva l’amnistie et, avec le ravitaillement, le sommeil.