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journal du siège de paris.

une véritable pluie d’obus monstrueux qui est tombée sur le quartier latin. Comme les projectiles prussiens, en éclatant dans l’air, font un bruit aussi retentissant que les grosses pièces de marine, nous avons eu un véritable tonnerre à jet continu pendant toute la journée. Je suis sorti vers quatre heures. Sur le boulevard de Sébastopol, on rencontre de pauvres familles éplorées traînant dans des petites charrettes leurs matelas, sur lesquels reposent les enfants. Elles viennent chercher sur la rive droite un refuge contre les bombes du roi Guillaume. C’est un spectacle navrant de voir, par cette température sibérienne, tous ces pauvres petits enfants, grelottant de faim et de froid, traînés par leurs parents, qui vont demander un abri de maison en maison. Je dois dire que tout le monde s’empresse de leur donner asile. Notre maison a reçu sa part des émigrants de la rive sud. Nous avons une pauvre femme, folle de douleur : sa fille aînée, âgée de vingt ans, a été coupée en deux, avant-hier, par un obus qui est tombé sur leur maison et a éclaté dans la chambre où se trouvait la malheureuse victime. Pour sauver les quatre enfants qui lui restent, elle a dû quitter son logement. La guerre est une chose horrible. Quand on ne fait que lire l’histoire des conquérants, on se laisse facilement prendre au miroitement de la gloire militaire. Mais quand on a vu de près les ravages et les désastres causés par la guerre, on se demande avec effroi quel nombre incalculable de misères sans nom, de douleurs inénarrables, de morts épouvantables, il