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octave crémazie

de ma reconnaissance pour la sympathie que vous me témoignez dans le malheur. Je ne vous demanderai pas de livrer ces poèmes à la publicité, mais seulement de les garder comme un souvenir.

« Oui, vous m’avez parfaitement compris quand vous me dites que je n’avais nulle ambition, si ce n’est de causer poésie avec quelques amis et de leur lire de temps en temps quelque poème fraîchement éclos. Rêver en écoutant chanter dans mon âme l’oiseau bleu de la poésie, essayer quelquefois de traduire en vers les accords qui berçaient mes rêveries, tel eût été le bonheur pour moi. Les hasards de la vie ne m’ont malheureusement pas permis de réaliser ces désirs de mon cœur. Aujourd’hui j’ai trente-neuf ans, c’est l’âge où l’homme, revenu des errements de ses premières années, et n’ayant pas encore à redouter les défaillances de la vieillesse, entre véritablement dans la pleine possession de ses facultés. Il me semble que j’ai encore quelque chose dans la tête.

« Si j’avais le pain quotidien assuré, j’irais demeurer chez quelque bon curé de campagne, et là je me livrerais complètement au travail. Peut-être est-ce une illusion, mais je crois que je pourrais encore produire quelques bonnes pages. J’ai dans mon cerveau bien des ébauches de poèmes, qui, travaillés avec soin, auraient peut-être une valeur. Je voudrais aussi essayer la prose, ce mâle outil, comme l’appelle Veuillot ; y réussirais-je ? je n’en sais rien. Mais tout cela est impossible. Il ne me reste plus qu’à bercer dans mon