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octave crémazie

jugement que vous portez sur notre historien national. On ne saurait apprécier ni mieux ni en meilleurs termes la plus belle œuvre de notre jeune littérature.

« Il est mort à la tâche, notre cher et grand historien. Il n’a connu ni les splendeurs de la richesse, ni les enivrements du pouvoir. Il a vécu humble, presque pauvre, loin des plaisirs du monde, cachant avec soin les rayonnements de sa haute intelligence pour les concentrer sur cette œuvre qui dévora sa vie en lui donnant l’immortalité. Garneau a été le flambeau qui a porté la lumière sur notre courte mais héroïque histoire, et c’est en se consumant lui-même qu’il a éclairé ses compatriotes. Qui pourra jamais dire de combien de déceptions, de combien de douleurs se compose une gloire ?

« Dieu seul connaît, dites-vous, les trésors d’ignorance que renferme notre pays. D’après votre lettre je dois conclure que, loin de progresser, le goût littéraire a diminué chez nous : Si j’ai bonne mémoire, le Foyer canadien avait deux mille abonnés à son début, et vous me dites que vous ne comptez plus que quelques centaines de souscripteurs. À quoi cela tient-il ?

« À ce que nous n’avons malheureusement qu’une société d’épiciers. J’appelle épicier tout homme qui n’a d’autre savoir que celui qui lui est nécessaire pour gagner sa vie, car pour lui la science est un outil, rien de plus. L’avocat qui n’étudie que les Pandectes et les Statuts refondus, afin de se mettre en état de gagner une mauvaise cause et d’en perdre une bonne ; le mé-