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octave crémazie

de rudes épreuves, ne me permet pas de travailler beaucoup. Ce que vous me demandez, d’autres amis me l’ont également demandé, en m’écrivant que je devais cela à mon pays. Ces phrases sont fort belles, mais elles sont aussi vides qu’elles sont sonores. Je sais parfaitement que mon pays n’a pas besoin de mes faibles travaux, et qu’il ne me donnera jamais un sou pour m’empêcher de crever de faim sur la terre de l’exil. Il est donc tout naturel que j’emploie à gagner ma vie les forces qui me restent. J’ai bien deux mille vers au moins qui traînent dans les coins et les recoins de mon cerveau. À quoi bon les en faire sortir ? Je suis mort à l’existence littéraire. Laissons donc ces pauvres vers pourrir tranquillement dans la tombe que je leur ai creusée au fond de ma mémoire. Dire que je ne fais plus de poésie serait mentir. Mon imagination travaille toujours un peu. J’ébauche, mais je ne termine rien, et, suivant ma coutume, je n’écris rien. Je ne chante que pour moi. Dans la solitude qui s’est faite autour de moi, la poésie est plus qu’une distraction, c’est un refuge. Quand le trappeur parcourt les forêts du nouveau monde, pour charmer la longueur de la route solitaire, il chante les refrains naïfs de son enfance, sans s’inquiéter si l’oiseau dans le feuillage ou le castor au bord de la rivière prête l’oreille à ses accents. Il chante pour ranimer son courage et non pour faire admirer sa voix : ainsi de moi.

« J’ai reçu hier les journaux qui m’apprennent la mort de Garneau. Le Canada est bien éprouvé depuis