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octave crémazie

commerce comme un moyen de vivre, jamais comme un but sérieux de la vie. Je me serais brisé tout entier aux affaires, et j’aurais aujourd’hui l’avenir assuré. Au lieu de cela, qu’est-il arrivé ? J’ai été un mauvais marchand et un médiocre poète.

« Vous avez fondé une revue que vous donnez presque pour rien. C’est très beau pour les lecteurs. Ne pensez-vous pas que si l’on s’occupait un peu plus de ceux qui produisent et un peu moins de ceux qui consomment, la littérature canadienne ne s’en porterait que mieux ? Si une société se formait pour fournir le pain à un sou la livre, à la condition de ne pas payer les boulangers, croyez-vous que ceux-ci s’empresseraient d’aller offrir leur travail à la susdite société ?

« Puisque tout travail mérite salaire, il faut donc que l’écrivain trouve dans le produit de ses veilles, sinon la fortune, du moins le morceau de pain nécessaire à sa subsistance. Autrement vous n’aurez que des écrivains amateurs.

« Vous savez ce que valent les concerts d’amateurs ; c’est quelquefois joli, ce n’est jamais beau. La demoiselle qui chante : Robert, toi que j’aime, sera toujours à cent lieues de la Pasta ou de la Malibran. Le meilleur joueur de violon d’une société philharmonique ne sera toujours qu’un racleur, comparé à Vieuxtemps ou à Sivori. La littérature d’amateurs ne vaut guère mieux que la musique d’amateurs. Pour devenir un grand artiste, il faut donner toute son intelligence, tout son temps à des études sérieuses, difficiles et suivies. Pour