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le ver.


« Quand la main qui donnait est pour toujours fermée,
« Qui donc garde son souvenir ?
« Et qui songe au parfum de la rose embaumée,
« Quand on ne peut plus la cueillir ?

« Car l’homme veut toujours que sa reconnaissance
« Lui rapporte quelques profits ;
« Il ne se souvient plus, quand tombe la puissance
« Dont il pouvait tirer des fruits.

« Ô mort ! tu n’as plus rien, maintenant que ta bière
« Est mon empire sépulcral ;
« Ton linceul m’appartient ; ô mort ! dans ce suaire
« Je taille mon manteau royal.

« Ton cadavre, pour moi c’est la source de vie
« Où je m’abreuve chaque jour ;
« C’est le riche banquet où la faim me convie,
« Où je m’assieds avec amour.

« Tout est à moi, ton corps, ton cercueil, ton suaire,
« Tes douleurs seules sont à toi.
« Moi seul puis dire ici d’une voix haute et fière :
« Je suis le Ver, je suis le Roi !

« Comme ces conquérants qui passent sur le monde
« Frémissant sous leurs pas vainqueurs,
« Pour graver de leur nom une trace profonde,
« Laissent des sillons de douleurs ;