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« Le ver, c’est la couronne, épouvantable et sombre,
« Qui brille sur nos fronts comme un œil noir dans l’ombre ;
« C’est le baiser reçu dans ce lugubre jour
« Où la mort nous a dit : Viens, je suis ton épouse !
« Et, ce baiser fatal, cette reine jalouse
« Veut que nous le gardions comme un gage d’amour.

« Ah ! gardons notre ver. Lui seul par sa blessure
« Nous fait croire à la vie. En sentant sa morsure
« Le pauvre mort dit : Je souffre, donc je vis !
« Ce ver, que les vivants fuient comme un être horrible,
« Est, certes, moins cruel que le ver invisible
« Du remords, dévorant leurs cœurs endoloris.

« Un jour, — était-ce un jour ou bien une nuit sombre ?
« Je ne sais, car pour nous le temps n’a plus de nombre ;
« Nous n’avons qu’un seul jour, c’est l’éternelle nuit —
« Les vers rassasiés dormaient sur mon suaire ;
« Ma tombe était muette, et là-haut sur la terre
« On entendait la mort qui moissonnait sans bruit.

« Comme un avare seul qui compte ses richesses,
« Je comptais mes douleurs, mes amères tristesses,
« Quand j’entendis soudain un cri de désespoir.
« Une voix répondit, formidable et stridente,
« Dont l’écho seul suffit pour glacer d’épouvante,
« Lugubre comme un glas qui retentit le soir.

« Ce cri de désespoir qui frappait mon oreille,
« C’était le cri d’un mort enterré de la veille