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Le troisième, à sa mère arraché par la tombe,
Avait quitté la vie ainsi qu’une colombe
Qui s’envole en chantant un hymne de bonheur.
Vingt printemps n’avaient pas encor paré sa tête ;
La mort, pour son bouquet la trouvant toute prête,
À ces fruits déjà mûrs ajouta cette fleur.

Nés sous le même ciel, morts dans la même année,
Tous trois avaient connu la chaîne fortunée
Qu’ici-bas sur la terre on nomme l’amitié.
Maintenant réunis dans la cité pleurante,
Comme ces mendiants que chantait le vieux Dante,
Des vivants ils s’en vont implorer la pitié.

Ils marchent leur chemin, s’entretenant ensemble,
Quand l’un d’eux, s’arrêtant, dit d’une voix qui tremble
Au mort en cheveux blancs : « Pourquoi tous les tombeaux
« Ne sont-ils pas ouverts dans ce jour d’espérance ?
« Mes voisins ont gardé leur éternel silence
« Quand la cloche des morts a fait frémir nos os. »

« — Ami, dit le vieux mort, si cette voix sonore
« Dans nos tombeaux muets vient retentir encore,
« Apportant avec elle un rayon de chaleur,
« Ce n’est que pour ceux-là dont les âmes en peine
« Attendent le secours d’une prière humaine
« Avant d’aller se joindre aux anges du Seigneur.

« Déchirant pour toujours le voile de la vie,
« Pour le ciel ou l’enfer quand une âme est partie,