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Et foulent les tombeaux qu’ils viennent de briser.
Heureux de se revoir, trois compagnons de vie
Se donnent, en pressant leur main roide et flétrie,
De leur bouche sans lèvre un horrible baiser.

Silencieux ils vont ; seuls quelques vieux squelettes
Gémissent en sentant de leurs chairs violettes
Les restes s’attacher aux branches des buissons.
Quand ils passent, la fleur se fane sur sa tige,
Le chien fuit en hurlant comme pris de vertige,
Le passant effaré sent d’étranges frissons.

Ils forment, en marchant, une blanche colonne ;
Leurs linceuls, agités par la brise d’automne,
Laissent voir aux regards leurs membres décharnés.
Trois d’entre eux cependant vont d’un pas moins rapide ;
Leurs os sont presque intacts, leur face est moins livide ;
Ils semblent de la mort être les nouveau-nés.

L’un avait déjà vu sur sa tête blanchie
Neiger soixante hivers, quand, arrêtant sa vie,
La mort vint l’enivrer de son breuvage amer.
Un fils, un fils unique, orgueil de sa vieillesse,
Avait, tout rayonnant des feux de la jeunesse,
Des fleurs de son printemps couronné son hiver.

Comme au souffle du Nord la rose épanouie
Avant la fin du jour voit sa beauté flétrie,
Le second avait vu la mort à son chevet
Quand, jeune encor, l’amour charmait son existence.
Sa femme avait voulu, modèle de constance,
S’enfermer avec lui dans le tombeau muet.