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la fusion des langues

paraît avec raison absolument artificielle à tous ceux qui ont à l’apprendre, enfants ou étranger ; aussi les fautes qu’ils y commettent tendent-elles toujours à la rendre plus logique. En comparaison de ces idiomes de formation spontanée et populaire, et par suite pleins d’irrégularités, de bizarreries et d’absurdités, une langue artificielle logiquement construite ne sera pas seulement cent fois plus simple et plus facile, elle sera réellement plus naturelle, car elle sera rationnelle.

La fusion des langues.

Certains, d’ailleurs favorables au principe d’une L. I., croient qu’elle pourra naître d’une « évolution spontanée » qui fondrait peu à peu toutes les langues civilisées en une seule. Mais c’est là une illusion, et une illusion dangereuse. Les langues nationales sont trop hétérogènes pour se rapprocher et se mêler ; leur contact, leur frottement, leur rivalité même ne font qu’accentuer leur diversité foncière et leur originalité irréductible. Et puis, lors même que cette fusion s’opérerait (au bout de combien de siècles ?), elle donnerait naissance à un idiome peut-être plus simple et plus commode, mais aussi irrégulier et aussi illogique que nos langues, puisqu’il serait comme elles le fruit d’une « évolution spontanée ». Ce serait une espèce de sabir ou de petit nègre, au lieu de la langue régulière et logique (sinon philosophique) que nous demandons. Enfin, ce serait une langue universelle, c’est-à-dire une chimère ; et c’est à cette chimère qu’on sacrifierait la L. I., qui peut être constituée et pratiquée immédiatement ! Ce serait lâcher la proie pour l’ombre.

La thèse que nous combattons invoque encore des arguments spécieux : les langues sont des êtres vivants ; on n’imite pas la vie, on la crée encore moins, etc. Toutes ces considérations en apparence profondes ne sont que des métaphores poétiques. Elles procèdent d’une philosophie superficielle qui, sous un faux libéralisme, cache un fatalisme radical. Cette idolâtrie de la nature tend à empêcher toute invention et à ruiner toute activité humaine. Les arts consistent à rendre artificielles les actions les plus naturelles, la danse et le chant, même la marche et la parole. Ce n’est pas seulement l’art, mais l’industrie et la civilisation toute entière qui répondent à la définition de Bacon : homo additus naturæ. C’est justement le privilège de l’homme