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le naturel et l’artificiel

qu’expriment nos langues, et même quelques-unes de plus, grâce à la logique rigoureuse qui réglera l’emploi des temps et des modes[1].

On peut donc affirmer, avec Max Muller, qu’ « une langue artificielle peut être beaucoup plus régulière, plus parfaite, plus facile à apprendre que n’importe laquelle des langues naturelles de l’humanité ».

Le programme que nous venons d’esquisser paraîtra peut-être chimérique à quelques lecteurs. Nous n’y avons pourtant énoncé aucune condition qui ne soit déjà réalisée dans une ou plusieurs langues artificielles : nous n’avons fait que résumer leurs qualités et leurs avantages ; nous ne promettons donc rien d’impossible, en définissant ainsi le minimum exigible de la future L. I., puisque des langues actuellement pratiquées le fournissent déjà. Nous ne savons pas si l’on peut faire mieux ; il faut le croire, parce que toute œuvre humaine est perfectible. Mais, faute de mieux, il suffirait d’adopter l’une de ces langues pour jouir immédiatement de tous les avantages que nous avons énumérés. Ne disons donc pas seulement que la L. I. est possible : elle existe, et elle peut être employée dès demain, si on le veut.

Le naturel et l’artificiel.

À l’idée d’une langue artificielle on objecte souvent que les langues sont un produit spontané de l’esprit populaire, et ne peuvent se créer par décret ou par convention. Mais c’est une induction illégitime, qui érige un fait historique en une loi nécessaire : de ce que toutes les langues sont nées de cette manière, on ne peut pas conclure qu’elles ne puissent pas se former autrement. Quelqu’un qui ne connaîtrait

  1. Leibniz disait déjà : Les prépositions dispensent des cas ; les conjonctions dispensent des modes. Certains auteurs de L. I. se passent du subjonctif et même du conditionnel. En tout cas, l’emploi des temps et des modes ne devra pas être régi par les conjonctions ni par des règles d’accord, mais uniquement par le sens. On dira : « Si vous viendrez, je viendrai » ; « Je veux qu’il viendra » ; « Je doute qu’il viendra » ; « Je crains qu’il viendra », comme on dit : « J’espère qu’il viendra ». Voilà un exemple, entre mille, des réformes logiques que les puristes n’accepteront jamais dans aucune langue vivante ou morte.