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extension et usages de la l. i.

faires, ou sur l’enseigne d’une boutique. Et combien y a-t-il d’idées scientifiques et techniques dont le latin ne fournit même pas une périphrase intelligible ! S’il fallait choisir une langue morte, nous opterions pour le grec, qui se prête bien mieux à la formation de mots nouveaux et auquel sont empruntés déjà tant de termes techniques[1]. Mais supposons qu’on modernise le vocabulaire latin, qu’on l’enrichisse de néologismes que les puristes traiteront de barbarismes, comme magazina et realisare (Leibniz). La grammaire et la syntaxe seront toujours beaucoup trop difficiles et compliquées. Il faudra donc les simplifier, ramener tous les noms à une seule déclinaison, tous les verbes à une seule conjugaison. Seulement la langue ainsi obtenue ne sera plus le latin de Cicéron ni même le latin des scolastiques ; ce sera une langue artificielle à base de latin, qui sera encore moins simple et moins internationale qu’une langue purement artificielle.

Au surplus, une telle réforme détruirait le principal argument des partisans du latin, et irait contre leurs vœux les plus chers. En effet, s’ils préconisent cette solution, c’est pour renouer et continuer la tradition défunte, et pour réconcilier les études classiques avec les études scientifiques ; or le néo-latin n’aurait que le nom de commun avec la langue de Virgile, et ce ne serait pas restaurer les humanités, mais au contraire les ruiner irrémédiablement, que de les associer à l’étude d’une langue barbare que les latinistes ne reconnaîtraient plus[2].

Bien au contraire, les partisans des études classiques (dont nous

  1. Aussi M. Raoul de la Grasserie a-t-il proposé d’emprunter les radicaux de la L. I. à la langue grecque : De la possibilité et des conditions d’une langue internationale (Paris, Maisonneuve, 1892).
  2. On en pourrait dire autant de certains projets qui consistent à simplifier et à régulariser une langue vivante : d’abord, ils ne remplissent pas la condition de la neutralité ; ensuite, une telle langue serait incompréhensible pour le peuple même à qui on l’emprunterait, de sorte que la nation « favorisée » serait la dernière à adopter sa propre langue défigurée. On sait quelle résistance la moindre réforme de l’orthographe et de la syntaxe rencontre chez les partisans de la tradition, de sorte qu’il est incomparablement plus facile de faire accepter une langue neuve qu’une langue ainsi réformée ;  sans compter qu’une langue artificielle sera toujours beaucoup plus simple, plus régulière et plus internationale.