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pour la langue internationale

culier, nous croyons remplir les conditions exigibles d’impartialité et de désintéressement, et si nous manifestons une préférence pour tel genre de systèmes plutôt que pour tel autre, c’est que nous sommes absolument convaincu que la solution pratique et définitive du problème ne peut se trouver que dans une direction déterminée. Mais bien entendu, ce n’est qu’une opinion personnelle, que nous soumettons au libre examen de nos lecteurs, et qui comporte et appelle la discussion.

Le latin comme L. I.

La première solution qui vient à l’esprit des savants, et surtout des lettrés, consiste à adopter le latin, qui fut jadis la langue universelle du monde savant. Mais, d’abord, le latin prête le flanc aux objections que nous avons adressées plus haut à une langue savante en général. On ne saurait trop le répéter, la L. I. n’est pas destinée aux seuls savants ; elle doit être accessible à toute personne d’instruction moyenne, en particulier à ceux qui ne savent que leur langue maternelle, aux adultes et aux femmes. On doit donc pouvoir l’apprendre seul et sans maître. Or aucune de ces conditions n’est remplie par le latin, qui est aussi difficile que les plus difficiles des langues vivantes, et qui offre les mêmes inconvénients : une grammaire et une syntaxe compliquées et irrégulières. Il n’a qu’un seul avantage sur elles : c’est d’être une langue neutre. Mais il a en revanche un désavantage énorme : c’est d’être une langue morte ; sa structure et son vocabulaire correspondent à un état de civilisation passé et irrévocablement dépassé. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’usage s’en est perdu parmi les savants, qui pourtant le possédaient si bien. On ne remonte pas le cours des siècles ; on ne ressuscite pas les morts.

Certains essaient pourtant de ressusciter le latin en lui infusant un sang nouveau ; on prétend qu’il se prête parfaitement à l’expression des idées modernes : et l’on cite comme exemple la Vox Urbis, qui a ingénieusement traduit bicyclette par birota velocissima[1]. Cette élégante périphrase (à la Delille) ferait sans doute fort bien en vers latins ; elle serait plutôt encombrante et déplacée dans une lettre d’af-

  1. Angelo Valdarnini, Il sovraccarico della mente e lo studio d’una lingua internazionale, (Bologne, 1900).