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(Il poursuit :)

« Ô honte ! murmurait-il, ô cruel attentat dont mon honneur, après vingt ans, garde encore la brûlure ardente !

(S’interrompant.)

… et troublant d’imbécillité.

(Il poursuit :)

« Quoi, je porterai éternellement le fardeau de mon humiliation ! Quoi, jusqu’aux portes du tombeau, je sentirai le sang de ma blessure couler lentement, goutte à goutte !

(S’interrompant.)

Ce petit ouvrage est tellement bête que rien ne l’égale en bêtise, sauf le lecteur qui s’en délecte.

(Il poursuit :)

« La neige s’était mise à tomber…

(Coups violents frappés dans la porte de droite.)

Bon ! ma femme, à présent.

(Il dépose sa plume. Nouvelle grêle de coups dans la porte.)

Eh ! une minute, que diable !

(Il va à la porte qu’il ouvre.)



Scène Deuxième

TRIELLE, VALENTINE

VALENTINE

Eh bien, en voilà du mystère ! Tu fais donc de la fausse monnaie ?

TRIELLE

Du tout. J’avais poussé le verrou, étant pressé par ma copie et craignant qu’on me dérange. Entre.

VALENTINE, entrant.

Ferme vite la porte, que l’inspiration ne se sauve pas.

TRIELLE

Tu as toujours quelque chose d’aimable à me servir.

VALENTINE

Eh ! on n’a pas idée, aussi, de se donner de l’importance au point de se mettre sous clé comme une bijouterie de luxe. Tu te prends au sérieux, ma parole.

TRIELLE

Tu es bête.

VALENTINE

En tout cas, je n’ai pas le ridicule de me confondre avec Lord Byron. Toc ! (Clignement d’œil.)

TRIELLE

Ne sois donc pas méchante par système, Valentine. Où es-tu allée pêcher que je me confonde avec Lord Byron ? Je t’explique que mon travail… (Au mot de travail, Valentine part d’un bruyant éclat de rire.) Tu es mal venue à me le jeter au nez. Si tu crois que je le fais pour mon plaisir, tu te trompes.

VALENTINE

Et si tu crois le faire pour le plaisir des autres, tu te trompes encore bien davantage.

TRIELLE

Quel singulier agrément peux-tu prendre à ne me dire que des choses blessantes ou ayant l’intention de l’être ?… Bah ! nous verrons bien, de nous deux, celui qui rira le dernier. (Valentine, étonnée, le regarde.) Patience, mon petit loup, patience !

VALENTINE

Quoi ?

TRIELLE

Patience ! te dis-je ; l’heure est proche.

VALENTINE

Sais-tu ce que tu me rappelles ?

TRIELLE

Un daim ?

VALENTINE

C’est prodigieux ! Tu as le don de la divination.

TRIELLE

N’est-ce pas ? Voilà comment nous sommes dans le feuilleton à trois sous la ligne. Mais peut-être ferions-nous bien de ne pas pousser plus avant dans le domaine du marivaudage, et d’aborder les choses sérieuses. Tu as à me parler ?

VALENTINE

C’est probable. A moins que je ne sois venue exprès pour jouir de ta compagnie et recueillir comme une manne bienfaisante les paroles tombées de tes lèvres…

TRIELLE

Je n’oserais l’espérer. Et alors, tu désires ?

VALENTINE

De l’argent.

TRIELLE

Tu n’en as donc plus ?

VALENTINE

Belle question ! Non, je n’en ai plus. Nous sommes le 1er octobre.

TRIELLE

C’est ma foi vrai.

VALENTINE

Je n’en ai plus !… Je n’en ai plus !… Je serais bien aise, si j’en avais encore, de savoir où je l’aurais pris. Supposes-tu que je me lève la nuit pour te voler ?

TRIELLE

Qui te parle de voler, bon Dieu, et quelle nouvelle querelle viens-tu me chercher là ? Je ne suppose rien du tout. Je te donne, le premier de chaque mois, l’argent nécessaire au ménage ; pendant que le mois court, l’argent file, et la bourse est à sec quand le mois est à bout, c’est aussi simple que cela.

VALENTINE

Puisqu’il en est ainsi, paye-moi ce qui me revient et conserve