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Non!!!

Le baron, après avoir, d'un mouvement de tête, confirmé l'authenticité de son récit. --- A cette déclaration inattendue, une douce gaieté s'empara de moi. Le gendarme, fronçant le sourcil, dit que je raillais l'autorité.

Boissonnade. --- Hé! hé!

Le baron. --- Je haussai les épaules...

Boissonnade. --- Oh! Oh!

Le baron. --- Le gendarme s'emporta.

Boissonnade. --- Ah! ah!

Le baron. --- Je répliquai. Il m'imposa silence d'un ton que je jugeai inconvenant. C'est alors que, perdant la mesure, je tournai le dos à ce militaire en lui jetant de biais cette parole qui m'amène aujourd'hui devant vous et qui demeurera à tout jamais le remords de mon existence: "Gendarme, vous êtes une moule!"

Boissonnade, après un silence. --- A vrai dire, si grand soit-il, votre crime perd tout intérêt, comparé à l'affaire Fualdès.

Le baron, souriant. --- Je m'en doutais un peu. Alors?

Boissonnade. --- Alors... alors... -- Le diable soit de vous, cher ami! Pour une fois que vous manquez de respect à un gendarme, vous n'avez pas la main heureuse. Je donnerais de bon coeur cinq cents francs de ma poche pour que vous ayez injurié le gendarme Petit-Grignolle ou le brigadier Monpétaze! Avec ces gens de sens rassis, on pourrait discuter, s'entendre!... Mais le gendarme Labourbourax dont le nom seul évoque une idée de catastrophe!...

Le baron. --- Il ne peut rien sans vous!

Boissonnade. --- Je ne peux rien sans lui! Nous sommes, vous et moi, dans ses mains! Qu'il n'y mette pas de complaisance, comme le gendarme de la chanson, et c'est...

Le baron. --- C'est la correctionnelle!

Boissonnade. --- Hélas!

Le baron. --- La flétrissure d'une condamnation!

Boissonnade. --- J'en ai plus peur qu'envie! Enfin!... prenons toujours le vent. Le diable s'en mêlera, ou je trouverai bien le moyen de vous enlever aux griffes de cette brute entêtée. (Il va à la porte du fond et l'ouvrant.) Gendarme!

Le baron. --- Je mets mon sort entre vos mains!

Entre le gendarme Labourbourax.


Scène III

Les mêmes, le gendarme

Boissonnade. --- Approchez-vous, gendarme, et causons en amis. Il est malheureusement établi que vos griefs sont fondés et que M. le baron Larade s'est rendu coupable, envers vous, d'une incontinence de langage.

Le gendarme. --- Il m'a appelé moule.

Boissonnade. --- Il l'avoue, et il en est au désespoir. (Le baron, d'un geste éloquent, prend le ciel à témoin de ses remords.) Il me charge donc de vous transmettre l'expression d'un repentir qui n'est pas équivoque, et c'est de grand coeur, n'en doutez pas, que je me fais auprès de vous l'avocat de sa cause. Laissez-moi croire qu'elle est à demi gagnée déjà.

Un temps. Le gendarme demeure muet.

Boissonnade. --- Raisonnons. Vous n'ignorez pas que M. le baron Larade est une des notabilités les plus justement appréciées de notre petit coin provincial. Homme de tenue, respectueux de nos institutions, ami de l'ordre et de ses gardiens, il honore votre caractère à l'égal de votre personne...

Le baron, éloquent et concis. --- Dieu!!!

Boissonnade. --- ... et il vous serait reconnaissant...

Le baron. ---