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la veille ; toute sa mauvaise humeur tomba, glissée à la gouaillerie d’une amicale querelle.

— Vous me terrifiez, aussi, avec vos demandes de renvoi. Hier, c’était M. Letondu ; aujourd’hui, c’est M. Lahrier ; quelle est cette fièvre d’expulsion ? Je ne veux renvoyer personne, cher ami ; M. Lahrier moins que tout autre ; mettez-vous bien ça dans la tête. Lahrier est, de toute cette maison (avec vous, naturellement), celui auquel je tiens le plus. Songez donc qu’au bout de cinq ans j’en suis à attendre de lui l’ombre d’une revendication, l’exposé du moindre grief !… Il viendrait me dire : « J’ai droit à une augmentation, on ne me la donne pas, je la réclame », je n’aurais qu’à lui tirer mon chapeau, c’est bien simple ; car enfin voilà des siècles qu’il devrait être rédacteur !… Mais non, c’est une fleur, ce garçon ; humble, il se complaît en son ombre comme une violette en sa mousse ; satisfait de sa médiocrité, à ce point soucieux de mon repos qu’il va jusqu’à lui sacrifier ses intérêts personnels !

Au songé d’une telle grandeur d’âme, des pleurs, des pleurs véritables, humectaient son éloquence. Sa gratitude déborda dans un mot, qu’il répéta par deux fois :