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vous en serez quittes pour m’enlever la parole si cette histoire vous embête, comme celle du petit navire qui n’avait jamais navigué.

Et ayant fait revenir un plateau de bocks mousseux, en prévision d’une narration un peu longue, Lavernié parla comme suit :

Il y avait plus de dix ans que nous nous tutoyions, quand nous avons cessé de nous voir, Laurianne et moi, il y a six mois de cela.

Je l’avais connu au Quartier, à l’époque où je faisais mon droit. Ce n’était pas un aigle, mais c’était un bon diable, en sorte qu’il m’avait plu tout de suite et que je continuai à le voir assidûment, une fois les études terminées. Laurianne m’aimait beaucoup aussi et c’était rare qu’il laissât s’écouler la semaine sans donner un coup de pied jusqu’au journal, en sortant de son ministère, comme dans la chanson du Brésilien. Il arrivait, prenait une chaise, et dévorait silencieusement les journaux, s’interrompant de temps en temps pour jeter un coup d’œil furtif sur ma copie, ou pour compter des yeux la quantité de feuilles noircies alignées devant moi, côte à côte.