Page:Courteline - Ah Jeunesse!, 1904.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au soir le vacarme de nos chansons et où nous travaillions au même modèle en nous chauffant du même bois.

Car nous étions terriblement pauvres, sais-tu ; sans le sou la plupart du temps et sans pain un peu plus souvent qu’à notre tour.

— Un peu sceptique.

— Sans pain ? fis-je.

— Oui, mon cher, dit Maudruc, sans pain ; à telle enseigne que Lamerlette, bien des fois, dut aller faire le chapardeur chez un épicier de la rue Burq qui l’honorait de sa sympathie et s’était logé en l’esprit de le faire renier sa foi républicaine. De là, entre eux, des prises de bec qui assourdissaient le quartier. Lamerlette se défendait, parlait d’un sien grand-oncle tué à Jemmapes, et tout en braillant comme un âne il abattait de furieux coups de poing au hasard des sacs de lentilles, de haricots rouges et de pois secs qui parsemaient la boutique. Puis, quand il avait la poche pleine de ces légumes enlevés au vol dans le feu de la discussion, il concluait d’un mot énorme et cavalait, laissant l’épicier triompher sur le seuil de son épicerie et lui jeter de loin, dans le dos, une goguenarderie dernière.