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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Elle payait fort mal ses artistes. L’enfant lui ayant demandé un léger acompte sur ce qui lui était dû, elle lui donna un soufflet en lui disant qu’à son âge on n’avait pas besoin d’acompte. « Deux jours passèrent sans que le pain entrât dans leur humble refuge, et quand Marceline voulut sortir pour s’en procurer, elle tomba évanouie. Une jeune actrice, Mlle Tigé, sa voisine, lui offrit tout ce dont elle pouvait disposer et la sauva ainsi que sa mère[1]. » L’aventure est-elle bien authentique ? M. Boulenger remarque que la note qui nous l’a conservée a été rédigée par le mari de Marceline, Prosper Valmore, acteur tragique et écrivain solennel à l’excès. Il se pourrait qu’il ait dramatisé les choses à plaisir[2]. Quoi qu’il en soit, Marceline et sa mère quittèrent Bordeaux pour aller à Pau, puis à Toulouse, à Tarbes, à Bagnères et enfin à Bayonne, où une dame chez qui elles logeaient leur avança l’argent nécessaire au voyage projeté. Elles retournèrent alors à Bordeaux et s’y embarquèrent pour la Guadeloupe à la fin de 1801. Marceline garda le souvenir de ce premier séjour dans notre ville. Lorsqu’elle y revint, en 1823, elle l’évoqua dans une pièce de vers, Le Retour à Bordeaux, où son âme tendre a rappelé le lointain passé avec une joie mélancolique et exprimé en termes touchants le bonheur qu’elle éprouvait à fixer enfin — du moins elle le croyait — sa destinée errante[3].

Elle avait alors trente-sept ans. Elle avait abandonné le théâtre, où elle avait eu de brillants succès. Elle avait eu aussi de grandes douleurs, qui avaient fait jaillir en elle la source vive de la poésie. Son cœur était infiniment tendre, son âme essentiellement romanesque. À dix-sept ans, elle avait commencé d’aimer. À vingt-deux, elle avait conçu pour un jeune homme une passion folle et en avait eu un enfant, qui naquit le 24 juin 1810 et mourut à cinq ans, le 10 avril 1816. Son amant l’avait abandonnée. Qui était cet amant, qu’elle appelle dans ses vers Olivier ? On a depuis longtemps cherché son nom. On s’est égaré sur de fausses pistes. Parmi ces pistes, il en est une qu’il convient de rappeler, car elle est bordelaise. Dans un feuilleton des Débats, paru en 1896, Jules Lemaître a cru que « le jeune homme » de Marceline est Louis-Marie-Auguste de Martin du Tyrac, comte

  1. A. Pougin, La jeunesse de Mme Desbordes-Valmore, 1898, p. 39-41.
  2. Boulenger, p. 37-38.
  3. Poésies, éd. Lemerre, t. I, p. 188-192, — M. Francis Jammes a consacré à l’embarquement à Bordeaux de Marceline et à son départ pour les îles l’élégie XV de son recueil Le Deuil des Primevères.