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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Une autre fois, il s’agit d’un livre que Gergerès lui a prêté, Édouard, roman de Mme de Duras, paru en 1825. Elle trouve médiocre ce « frère déshérité d’Ourika ». Et elle termine sa lettre par une allusion à la pension qu’elle vient de recevoir :

Mais voilà ma bourse et voilà une dette qui me pèse. Et si j’allais être riche demain, que ferais-je ? J’achèterais un mouton énorme que je ne ferais jamais tondre, et des poules que je ne ferais jamais tuer[1]

Le 29 janvier 1826, elle revient à la charge en faveur de sa vieille protégée, « cette grande, grande femme », qui est au lit, « étouffant sous ses soixante-quinze années », et pour laquelle elle demande à Gergerès une carte, sans doute du bureau de bienfaisance. Et elle termine joliment sa requête :

Au secours donc ! C’est moi que vous servirez, et j’irai au ciel avant vous pour le dire. D’ailleurs, il y a un grand livre pour attraper les ingrats. Si j’étais de ce nombre, je ne me souviendrais pas si bien que c’est à vous seul que je peux recourir, quand je vois un être souffrant à protéger. Vous êtes le bon ermite Aubry, et moi je suis le chien[2].

Le 8 juin, c’est pour son frère Félix, un assez triste sire, qu’elle sollicite. Elle conte à Gergerès son aventureuse existence de soldat invalide et demande pour lui « une petite place », « Je pleure pour mon frère depuis l’âge de dix ans », conclut-elle[3]. En septembre 1826, Gergerès était en villégiature à Bagnères. Il eût été heureux d’y avoir la visite de son amie. Elle aussi eût été heureuse « de retourner dans ces belles montagnes » où elle avait passé, avec sa mère, au cours de son aventureuse jeunesse. « Si vous y rencontrez, disait-elle, une petite fille aux longs cheveux blonds flottants, couverte de bouquets et baisant tous les moutons qu’elle approche, appelez-la. Marceline ». Elle ajoute :

J’ai lu des vers de Sigoyer qui sont, en vérité, bien beaux, bien harmonieux. Il les adresse à M. de Lamartine qui n’en a pas fait de plus purs ; mais il veut toujours croire qu’il meurt de mélancolie et je me réjouis de l’idée qu’il se porte à merveille[4].

  1. Lettres inédites, p. 20. — La lettre, sans date, est de janvier 1826.
  2. Ibid., p. 20-21.
  3. Ibid., p. 21-23. La démarche n’aboutit pas. Plus tard, Marcelline obtint, par la protection de Martin du Nord, que Felix Desbordes fût reçu à l’hospice de Douai, où il mourut le 26 mai 1851 (cf. Boulenger, p. 352-357).
  4. Ibid., p. 23-25.