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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX

Ne croyez pas avoir découvert de l’ingratitude dans ma plainte sur Lormont. D’abord Belle-Allée n’en est point. J’ai de l’ordre dans mes émotions de cœur. Mais il y a dans ce nom de Lormont une douleur que je ne rendrai jamais et un charme qui m’y fait toujours revenir, même pour m’en plaindre. J’y ai vu Georgina… elle s’inclinait déjà… je l’aime absente comme je l’aimais alors. Vous l’avez vue pour me pardonner de vous en entretenir. Croyez-vous que ce soit là de l’ingratitude ? Madame, votre cœur a trop d’esprit pour que les nuances vous échappent. Voyez-vous au naturel, je vous en prie ; vous ne m’en aimerez qu’un peu plus, il me semble. J’ai quitté Bordeaux avec un déchirement de cœur dont la fatigue dure encore ; un cri, c’est bien peu quand on est vraiment arraché à ce que l’on choisirait pour la vie et le reste !

Adieu, Madame, j’ai trop à regarder dans le passé pour me plonger souvent dans l’avenir, qui est à Dieu !… Mais quand j’y tourne les yeux, je vous y cherche toujours et il faut que vous restiez convaincue que c’est avec le sentiment de la plus tendre reconnaissance. J’y mettrai de la patience, si j’ai quelquefois le bonheur d’apprendre que vous êtes là dans vos jardins poétiques, cultivant votre Élodie, à qui je souhaite un sort digne d’elle et de ses parens qui me sont bien chers.

Marceline Desb. Valmore.

Je voudrais bien ne faire jamais d’autres vers que ceux qui plaisent le mieux à votre pure imagination.

Mais hélas ! sur cette terre,
Où l’homme ne vit qu’un jour,
Il n’est ni croix ni rosaire
Qui guérisse de l’amour[1].

Le solitaire qui dit cela, connaît passablement le cœur humain ! Je suis à genoux devant sa pitié… et la vôtre, Madame, ne peut s’en séparer.

Lyon, le 5 décembre 1827.

Mes enfans demandent à embrasser Elodie et voudraient bien la voir demain[2].


Mais, parmi les amis qu’elle avait laissés à Bordeaux, il en est un auquel elle garda un souvenir particulièrement fidèle. C’est Jean-Baptiste Gergerès. Il était célibataire et vivait avec ses deux sœurs.

  1. Citation de L’Ermite de Sainte-Avelle, la célèbre romance d’Edmond Géraud.
  2. Mss. d’Edmond Géraud, Varia, p. 211. — Communiqué par Mme Pierre Meller.