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MADAME DESBORDES-VALMORE À BORDEAUX


Et je sentais naître ma fille
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur[1].

Puis aux brouillards de Lyon elle oppose le ciel plus doux de Bordeaux et au logis encore inconnu, la chère maison qu’elle habite :

Il faut partir. Ce toit qu’il fut doux d’habiter,
Qui nous couvrit l’hiver, il faut donc le quitter.

Du moins gardera-t-elle de Bordeaux un tendre souvenir :

Mais en rendant mes jours à ma tremblante étoile,
Soit qu’un doux aquilon fasse frémir ma voile,
Soit que d’un ciel brûlant me consume l’ardeur,
J’aimerai des vallons la fraîche profondeur ;
Ma pensée en soupire, et le saule, et l’yeuse,
Et près du clair ruisseau la paisible fileuse,
Le bois qui la vit naître et la verra mourir,
Me rendront des tableaux qu’il est doux de nourrir.
Aux coteaux de Lormont j’avais légué ma cendre ;
Lormont n’a pas voulu d’un fardeau si léger ;
Son ombre est dédaigneuse au malheur étranger ;
Dans la barque incertaine il faut donc redescendre.
Venez, chers Aleyons, pressez-vous sur mon cœur ;
Jetez un tendre adieu vers la rive sonore :
doux aquilon fasse frémir ma voile,
Je le sens, quelque vœu nous y rappelle encore,
Quelque regard nous suit, plein d’un trouble rêveur.
Adieu… ma voix s’altère et tremble dans mes larmes ;
Enfans, jetez vos voix sur l’aile des zéphyrs :
Dites que j’ai pleuré, dites que mes soupirs
Retourneront souvent à ces bords pleins de charmes :
Là de quatre printemps j’ai respiré les fleurs.
Ainsi partout des biens ; ainsi partout des pleurs[2] !

Ce n’était pas là l’effusion poétique d’une imagination exaltée. Marceline regrettait Bordeaux, son paysage, son soleil, ses amis. Nous en avons la preuve dans une lettre inédite qu’elle écrivait de Lyon, le 5 décembre 1827, à Mme Edmond Géraud :

Votre lettre m’a rendue heureuse, Madame ! Elle m’a prolongé l’accueil și doux à recevoir de vous-même et que je n’oublierai nulle part. Il y a sur votre lettre un reflet de Belle-Allée et de vos beaux yeux qui enchantent tout ce qu’ils regardent.

  1. Elle exagère. On a vu qu’Inès ne naquit que le 29 novembre 1825.
  2. Poésies, éd. Boulland, t. II, p. 51-60. — Éd. Lemerre, t. I, p. 135-140.