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DE LA PSYCHOLOGIE. 549

douées que je ne le suis, et qui verront ou palperont si exactement la même chose, qu’il faudra bien me rendre à la vérité d’une observation dont témoignent tous ceux en qui se trouvent les qualités du témoin ?

Aussi voyons-nous que les observations les plus utiles sur la nature intellectuelle et morale de l’homme, recueillies, non par des philosophes enclins aux théories et aux systèmes, mais par des hommes vraiment doués de l’esprit d’observation et portés à saisir le côté pratique des choses, par des moralistes, des historiens, des hommes d’État, des législateurs, des instituteurs de la jeunesse, n’ont pas été en général le fruit d’une contemplation solitaire et d’une étude intérieure des faits de conscience, mais bien plutôt le résultat d’une étude attentive de la conduite des hommes placés dans des situations variées, soumis à des passions et à des influences de toutes sortes, dont l’observateur a grand soin de s’affranchir autant que possible ; de manière qu’ici comme ailleurs l’observation directe porte principalement sur des faits sensibles que le témoignage de notre conscience nous apprend, il est vrai, à rattacher à des affections intérieures qui échappent aux sens. En cela les observations dont nous parlons ressemblent à celles du physiologiste, qui juge de la sensibilité de certains tissus d’un animal par les mouvements convulsifs que l’animal exécute quand on lèse ces tissus. Elles ont une ressemblance, quoique plus éloignée, avec les observations du physicien, qui juge des vitesses relatives des mouvements vibratoires de deux corps sonores par l’intervalle musical des deux sons produits.

374. — Si pourtant on n’est point parvenu à donner aux faits ainsi recueillis sur la nature intellectuelle et morale de l’homme une coordination scientifique comparable à celle qui enchaîne les faits révélés par une observation méthodique de la nature inanimée et de l’organisme vivant, la raison en est évidente, et tient à la nature des faits observés, bien plus qu’à celle des instruments d’observation. Nous avons été doués de quelques sens d’une exquise perfection et admirablement adaptés à nos rapports naturels avec les objets extérieurs en tout ce qui a pour objet l’entretien de la vie animale dans les individus et dans l’espèce : toutefois ces sens nous feraient bientôt défaut dans l’investigation scientifique des phéno-