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460 CHAPITRE XX. vertu d’une force propre qui résiste à l’action des forces exté- rieures. . — D’après tout cela nous pouvons juger que la distinc- tion de l’histoire et de la science, de l’élément historique et de l’élément scientifique, est bien plus essentielle que ne semble le penser Bacon (301), et qu’elle ne tient pas précisément à la présence dans l’esprit humain de deux facultés, dont l’une s’ap- pellerait la mémoire et l’autre la raison. Les hommes n’auraient jamais fait usage de leur mémoire et de leur raison pour écrire l’histoire et des traités sur les sciences, qu’il n’y en aurait pas moins, dans l’évolution des phénomènes, une part faite à des lois permanentes et régulières, susceptibles par conséquent de coordination systématique, et une part laissée à l’influence des faits antérieurs, produits du hasard ou des combinaisons acci- dentelles entre diverses séries de causes indépendantes les unes des autres. La notion du hasard, comme nous nous sommes efforcé de l’établir ailleurs (36), a son fondement dans la nature, et n’est pas seulement relative à la faiblesse de l’esprit humain. Il faut en dire autant de la distinction entre la donnée histo- rique et la donnée théorique. Une intelligence qui remonterait bien plus haut que nous dans la série des phases que le sys- tème planétaire a traversées, rencontrerait comme nous des faits primordiaux, arbitraires et contingents (en ce sens que la théorie n’en rend pas raison), et qu’il lui faudrait accepter à titre de données historiques, c’est-à-dire comme les résultats du concours accidentel de causes qui ont agi dans des temps encore plus reculés. Supposer que cette distinction n’est pas essentielle, c’est admettre que le temps n’est qu’une illusion, ou c’est s’élever à un ordre de réalités au sein desquelles le temps disparaît. Mais notre philosophie ne prend pas un vol si hardi. Nous tâchons de rester dans la sphère des idées que la raison de l’homme peut atteindre, tout en conservant la capa- cité de distinguer ce qui tient à des particularités de l’esprit humain, et ce qui tient à la nature des choses plutôt qu’au mode d’organisation de nos facultés. . — Ce qui fait la distinction essentielle de l’histoire et de la science, ce n’est pas que l’une embrasse la succession des événements dans le temps, tandis que l’autre s’occuperait de la systématisation des phénomènes, sans tenir compte du temps dans lequel ils s’accomplissent. La description d’un