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à définir positivement l'espèce organique; il se peut aussi que cette détermination précise implique la solution d'une question d'origine, décidément placée hors du domaine de l'observation et de l'investigation scientifique; dans tous les cas cette détermination précise n'a point encore eu lieu, puisqu'on dispute encore sur la possibilité de la mutation des espèces ou de certaines espèces, et que tel naturaliste voit une différence d'espèce où tel autre ne voit qu'une variété de race, sans que ni l'un ni l'autre puisse péremptoirement distinguer la variété de l'espèce¹. Mais, d'un autre côté, cette ambiguïté ne porte que sur des cas peu nombreux, en comparaison de ceux où tous les naturalistes sont d'accord sur la distinction des types spécifiques, quoiqu'ils n'aient pas la même opinion sur ce qui constitue l'origine et l'essence de la distinction spécifique. De là l'obligation de parler une langue commune, et d'employer de concert dans la science un terme dont la définition reste problématique dans les écoles. On peut ajourner la solution

¹ Sans doute l'idée de l'espèce végétale ou animale est, jusqu'à un certain point, rendue sensible par le mode de propagation, qui fait que tous les individus de la même espèce semblent appartenir à la même famille et pourraient être réputés issus d'un même ancêtre ou d'un même couple ; tandis que les individus d'espèces différentes, ou ne s'unissent pas, ou ne contractent que des unions stériles, ou n'engendrent que des produits frappés eux-mêmes de stérilité et qui disparaissent sans laisser de trace dans l'ordre permanent des choses. Mais il ne faut pas prendre pour le fondement essentiel et primitif de l'idée d'espèce et de la diversité des types spécifiques, le fondement de la distinction des espèces dans l'ordre que nous observons actuellement. Supposons à l'origine une création de types spécifiques, tous nettement distincts les uns des autres ; mais que, pour quelques-uns de ces types, qui peut-être ne seront pas ceux que l'ensemble de leur organisation rapproche le plus, les individus d'espèces différentes soient disposés, en vertu de certaines conformités secondaires d'organisation, à contracter des unions fécondes et à produire des métis qui possèdent eux-mêmes le principe de fécondité : la conséquence de cette aptitude sera certainement qu'au bout d'un temps suffisant pour amener l'évolution de toutes les combinaisons fortuites, les espèces qui la possèdent se seront intimement mélangées, et que, de la fusion des anciens types, seront sortis des types nouveaux où se trouveront diversement combinés et modifiés les caractères des types primitifs. Donc, réciproquement, il faut bien que les espèces dont nous observons actuellement la distinction soient celles dont la constitution n’a pas, dès l’origine, cessé de répugner à des unions fécondes ou, du moins, à des unions dont les produits pussent se propager. Seulement, il ne faut pas prendre la conséquence pour le principe, ni le résultat d’une des particularités de la constitution spécifique pour la définition de l’idée d’espèce.