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fection même, elle aurait eu droit de prétendre à l'universalité. L'algèbre n'aurait été qu'une branche de cette caractéristique ; tout le travail de la pensée eût été manifesté par des combinaisons de signes ; et l'art du raisonnement, qui aurait été au calcul arithmétique ou algébrique ce que le genre est à l'espèce, n'aurait dû à son tour être réputé qu'une application spéciale de la synthèse combinatoire, ou de l'art de former, de classer et d'énumérer des combinaisons.

Cette comparaison même devait mettre sur la trace de l'erreur capitale dont est entachée l'idée d'une caractéristique universelle. Combien seraient bornées les applications du calcul arithmétique ou algébrique, si elles ne concernaient que des quantités susceptibles de s'exprimer exactement en nombres, et affranchies de la loi de continuité ! La nature de l'idée de grandeur permet d'appliquer aux grandeurs continues, avec tel degré voulu d'approximation, les procédés de calcul directement applicables aux quantités discrètes ou aux quotités ; mais, ce cas singulier mis à part, comment des qualités et des rapports qui varient d'une manière continue pourraient-ils en général s'exprimer avec l'approximation convenable, au moyen de combinaisons de signes discontinus ou distincts, en nombre limité, à valeurs déterminées et fixes ? En tout cas, comment définirait-on l'approximation obtenue ?

Condillac et les logiciens de son école (dont les idées sur ce point s'accordent, par une rareté digne de remarque, avec celles de Descartes et de Leibnitz), en exagérant peut-être la puissance de l'institution du langage en général, exagèrent surtout les imperfections des langues individuelles, telles que l'usage les a façonnées, en leur opposant sans cesse ce type idéal qu'ils appellent une langue bien faite. Or, c'est au contraire le langage, dans sa nature abstraite ou dans sa forme générale, que l'on doit considérer comme essentiellement défectueux, tandis que les langues parlées, formées lentement sous l'influence durable de besoins infiniment variés, ont, chacune à sa manière et d'après son degré de souplesse, paré à cet inconvénient radical. Selon le génie et les destinées des races, sous l'influence si diverse des zones et des climats, elles se sont appropriées