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satisfaisante : et ce phénomène, c’est celui de la constitution même du corps solide, au moyen d’atomes ou de molécules maintenues à distance les unes des autres. Que si l’on attribue la solidité, non plus aux corps mêmes ou aux agrégats moléculaires, mais aux dernières molécules qui en seraient les éléments constitutifs, on introduit, pour satisfaire à un penchant de l’imagination, une conception hypothétique, que l’expérience ne peut ni renverser, ni confirmer, et qui en réalité ne joue aucun rôle dans l’explication des phénomènes. La prétendue qualité première pourra bien n’être qu’une qualité imaginaire, et à notre égard sera certainement une supposition gratuite. Remarquons en effet que dans l’hypothèse à laquelle les physiciens modernes sont conduits, celle d’atomes maintenus à distance les uns des autres, et même à des distances qui (bien qu’inappréciables pour nous à cause de leur extrême petitesse) sont pourtant très-grandes par comparaison avec les dimensions des atomes ou des corps élémentaires, rien n’oblige à concevoir ces atomes comme de petits corps durs ou solides, plutôt que comme de petites masses molles, flexibles ou liquides. Dans les corps qui tombent sous nos sens, la solidité et la rigidité, comme la flexibilité, la mollesse ou la liquidité, sont autant de phénomènes très-dérivés et très-complexes, que nous tâchons d’expliquer de notre mieux, à l’aide d’hypothèses sur la loi des forces qui maintiennent les molécules élémentaires à distance, et sur l’étendue de leur sphère d’activité, comparée au nombre de molécules comprises dans cette sphère et aux distances qui les séparent : mais, que ces explications soient ou non satisfaisantes, il est incontestable qu’elles ne préjugent rien, et ne peuvent rien préjuger sur l’état de dureté ou de mollesse, de solidité ou de fluidité de la molécule élémentaire. La préférence que nous donnons à la dureté sur la mollesse, le penchant que nous avons à imaginer l’atome ou la molécule primordiale comme un solide hypermicroscopique plutôt que comme une masse fluide du même ordre de petitesse, ne sont donc que des préjugés d’éducation qui tiennent à nos habitudes et aux conditions de notre vie animale. Nous aurions d’autres préjugés et d’autres penchants, si la nature, tout en nous accordant le même degré d’intelligence, avait réalisé pour nous dans l’âge adulte, ce qui fait