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REVUE DES SCIENCES POLITIQUES.

ébranler plusieurs Cabinets ; elle ne pouvait être mal interprétée par la Russie devenue amie[1].

Bien disposée à l’égard de la Triple-Entente, la presse était unanime contre l’Allemagne, en qui elle voyait l’instigatrice de l’intervention de 1895. Tandis que les relations avec la France et avec la Russie avaient évolué, rien ne s’était passé à l’égard de l’Empire Allemand, les rapports étaient toujours restés corrects sans devenir plus cordiaux ni plus froids ; la situation paraissait exactement la même que dix-neuf ans plus tôt au lendemain de l’entrevue entre le vicomte Moutsou Mounémitsou, le ministre d’alors, et le baron von Gutschmid : mais les Japonais, avisés, calculateurs autant que passionnés à leur heure, discernaient les appétits cachés sous cette froideur. N’était-ce pas, d’ailleurs, pour l’Empire Allemand, avoir reculé que d’être resté en place, tandis que les autres se rapprochaient ? Survint tout d’un coup une révélation bruyante des procédés allemands par l’affaire Siemens-Schuckert contre Richter, jugée en Allemagne ; il fut établi, ainsi que le déclara M. Liebknecht, que la maison Siemens-Schuckert avait pendant un temps considérable corrompu des officiers de la marine japonaise, nombreux et haut placés ; les autorités consulaires allemandes ne semblaient pas tout à fait en dehors de l’affaire. Les enquêtes, procès, destitutions occupèrent les six premiers mois de 1914 et froissèrent vivement l’orgueil japonais[2]. L’impudence allemande à la fin de juillet et dans les premiers jours d’août souleva dans le pays une vague d’indignation et ce fut un soulagement quand on apprit l’ultimatum de la Grande-Bretagne. Immédiatement, le peuple pensa à la guerre, souhaitant de venger enfin l’humiliation passée ; les journaux étaient à l’affût des conseils ministériels, observaient les arsenaux dont on croyait voir redoubler l’activité ; la marine et l’armée dissimulaient à peine leurs sentiments. Mais le gouvernement ne s’expliquait pas ; à quoi attribuer cette hésitation ? à l’inertie des ministres ? à des conditions posées par l’Angleterre ? ou fallait-il croire qu’on négociait avec l’Allemagne et que cet empire, abandon-

  1. Japan Mail, 5 septembre 1914, p. 226 ; 12 septembre, p. 251 ; 19 septembre, p. 270 ; 26 septembre, p. 295 ; 3 octobre, p. 314.
  2. North China Herald, 24 janvier 1914, p. 266 ; 7 février, p. 404. — Japan Mail, 20 juin 1914, p. x.