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ANNALES DES SCIENCES POLITIQUES.

introduit après coup. L’exposé de l’affaire du Tonkin, par exemple, débute par les anciennes relations de la France et de l’Annam, par la conquête de la Cochinchine : tout ce détail est-il assez connu, pour que le reste soit compris sans qu’on rappelle ces origines ? après le premier vote de la Chambre pour augmenter nos forces navales au Tonkin (21 juillet 1881), ne faut-il pas noter le traité chinois-brésilien, la disgrâce de Tso Tsong-thang, événements secondaires, il est vrai, mais concomitants et qui ne pouvaient être passés sous silence ?

Les faits ainsi disposés, l’auteur les expose rarement lui-même, sa narration est un léger fil conducteur qui paraît de place en place. Le plus souvent, les documents parlent avec leur style, leur sincérité ou leur dialectique captieuse, leur tournure originale ; chacun fournit l’impression contemporaine du fait ; derrière cette trame presque continue, l’auteur s’efface ; le lecteur a l’illusion de voir les événements se dérouler avec leurs soubresauts, de lire à l’époque même quelques journaux, quelques correspondances au fait de tout : il ne songe pas qu’à l’époque il n’eût jamais été si bien informé.

Tel est le procédé, l’art spécial et efficace de cette histoire, que j’appellerais plutôt des mémoires collectifs, officiels et privés ; elle est à la fois un plan d’ensemble et un recueil de documents : tous n’étaient pas inédits, mais il est inappréciable au travailleur de les avoir réunis sous la main avec les notes biographiques sur tous les personnages. Utilisons-les pour retracer en grandes lignes la politique chinoise de deux puissances occidentales.

Envoyé extraordinaire en Chine, de Lagrené s’était appuyé sur les souvenirs du xviie et du xviiie siècle, avait opposé la conduite généreuse de la France aux réclamations intéressées de l’Angleterre ; il avait su par l’exposé net de la situation, par la franchise de ses avis, la courtoisie de ses manières, la fermeté de ses demandes, acquérir une véritable influence sur le commissaire impérial Khi-ying. Mal pourvu de moyens d’action, il avait toutefois fermement établi le prestige de la France et conclu sans peine un traité de commerce qui marquait quelque progrès sur les traités anglais et américain. Profitant d’ouvertures discrètes de Khi-ying, il avait obtenu, après quelques luttes diplomatiques, sans une menace, un édit de tolérance pour le christianisme et pour les Chinois chrétiens. L’Angleterre pesait alors sur la Chine de l’importance de son commerce, de